« Le cahier » : enfance sans complaisance

Publié le par marine

« “Bouddha n'a pas été détruit, il s'est effondré de honte.” Moshen Makhmalbaf

 

affiche-film.jpg


Dans la famille Makhmalbaf, la caméra au même titre que le stylo sert filmer la réalité iranienne, le plus souvent sous forme de contes ou de fables. Hanna, 19 ans après Moshen, le père et Samira, la sœur aînée, s’est lancée dans la réalisation cinématographique. « Le cahier », son premier long métrage de fiction n’a pas pu être tourné en Iran faute des autorisations nécessaires. « Le cahier », film dont l’apparente simplicité se révèle trompeuse, témoigne de la difficulté de vivre en Afghanistan, difficulté plus importante encore pour les femmes. Un film - témoignage majeur raconté en mode mineur qui s’ouvre et se clôt sur l’explosion commandée par les talibans en 2001 qui détruisit les bouddhas géants de la vallée de Bamiyan. La cinéaste ramasse son propos en respectant la règle des trois unités édictée par Boileau pour les tragédies : "Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli …".En limitant le récit à l’enfant au cahier, Hanna Makhmalbaf livre une fable tragique.

 

Baktai est une petite fille de six ans dont le plus fort désir est d’aller à l’école. Dans l‘Afghanistan, aujourd’hui, l’école pour une fille, ne relève pas des priorités, loin s’en faut. Mais Baktai veut apprendre à lire. Pour acheter un cahier et un crayon qui lui permettront, pense-t-elle, d’être acceptée en cours, elle part vendre quatre œufs au marché.

Munie du précieux cahier et après un bien long chemin, elle arrive enfin à l’école des filles, n’y trouve pas de place et finit par se faire renvoyer. Sur le chemin du retour, elle tombe sur une bande de gamins qui joue aux talibans. Ils la bousculent, la malmènent, font semblant de vouloir la lapider avec les débris d’ongles des bouddhas géants. Leurs jeux distillent une violence qui semble toujours en passe de basculer dans la réalité. Plus tard, dans la journée les mêmes enfants endossent le rôle des américains et Baktai sera alors traitée « pour de faux » comme une terroriste. Dans ces jeux de l’enfance, la violence latente, l’innocente cruauté reproduit le monde des adultes qui les entourent. La réalisatrice pose un regard lucide sur l’Afghanistan. Le film est parsemé de petits détails significatifs : tube de rouge à lèvre emprunté à la mère en guise de crayon, policier qui règle une circulation inexistante, troc dans une boulangerie, un avion militaire qui saigne le ciel….. et le cahier de Baktai dont les pages, servent à faire des avions, des bateaux ,sont déchirées, piétinées, partagées mais jamais écrites. Autant d’éclats de vie et de métaphores qui nourrissent cette trame narrative simple. La caméra souligne les conditions matérielles difficiles. Elle dévoile la ville, sans s’y attarder vraiment comme pour ne pas trop en montrer et ne pas insister sur les difficultés des villageois. Elle s’arrête à l’école en plein air pour garçons, laissant aux spectateurs le temps d’avoir un aperçu de l’organisation scolaire en zone rurale. Dans l’école des filles, à l’abri des regards, l’enseignante semble ne pas trop se préoccuper de savoir si les élèves suivent ou non le cours qu’elle dispense.

 

Le film dégage une tension dramatique intense. La phrase finale lancée par Abbas, le jeune voisin à Baktai « Fais la morte et tu seras libre » porte en elle un tel fatalisme qu’il nous laisse sur une note un peu désespérante qu’accentue encore l’explosion des bouddhas comme si l’avenir s’était refermé à jamais sur le pays.

 

Le Cahier (Buddha collapsed out of shame) a reçu le Grand Prix du Festival de San Sebastian

Publié dans bleu

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article