Our body : les morts pour le dire
L'exposition de corps humains écorchés "Our body/ A corps ouvert" a définitivement fermé ses portes à Paris. La cour d'appel de Paris a estimé qu'on pouvait certes exposer de vrais cadavres humains mais à condition de fournir la preuve de leur origine. Elle n'a pris en compte ni les aspects éthiques ni le point de vue philosophique que l'exposition pouvait soulever mais le plan purement légal de l'origine des défunts. De mémoire d'avocat c'est une première : "A ma connaissance, c'est la première fois qu'une exposition est interdite" en France, a réagi Me Hervé Temime, qui défendait l'organisateur, Encore Events. Oui, dommage, la censure, laisser chacun à sa propre responsabilité, sa réflexion personnelle plutôt que de confier ce soin à un juge.
A la fois morbide et fascinante, elle se voulait didactique et artistique. Didactique, elle semblait l'être si l'on se réfère aux impressions laissées par les visiteurs qui n'en finissent pas d'exprimer cette perception de notre corps qu'ils ont eu à voir.
"Je me souviens encore, enfant, dans les années 1970, de la grande exposition Toutankhamon qui sillonnait l'Europe. Le monde était émerveillé par la splendeur de ce magnifique cadavre. Il n'y a pas si longtemps, le musée de l'homme exposait encore la "Vénus Hottentot", Saartjie Baartman, morte et empaillée (on l'a depuis rendue à l'Afrique du Sud, en pièces détachées). Les touristes européens, comme mon grand-père, rapportaient encore de leurs périples sud-américains, dans les années 1950, des têtes réduites (j'en possède plusieurs exemplaires tout à fait remarquables). On est revenu en partie, il est vrai, sur ces profanations de cadavres. Mais une atteinte à un corps mort, quoiqu'on en pense, n'est pas une atteinte à la dignité de la personne humaine, laquelle s'adresse aux vivants." Eric Maulin dans "Le Monde" 22 avril 2009
A l'inverse, certains visiteurs qui sont quand même venus en toute connaissance de cause, ont exprimé tout leur dégoût devant ces écorchés en "action"
"J'ai visité cette exposition à Bruxelles il y a quelques années. Je la trouvais déjà choquante, et aujourd'hui d'après les photos que j'ai vues, je pense que nous sommes aux confins de l'horreur. Je suis personnellement collectionneur d'images anatomiques et je possède le livre Encylopaedia Anatomica sur le musée de cires anatomiques de la Specola de Florence. Mais c'est totalement diffèrent et dans un autre contexte historique. Ce qui me gêne aujourd'hui, c'est cette mise en scène sordide et macabre, faite probablement avec des condamnés à mort. Le prétexte didactique n'oblige pas à utiliser un cadavre et à en faire n'importe quoi. Bientôt, on verra un quadrille de jeunes Chinoises décharnées danser le French Cancan." Jean-Pierre Gilissen dans "Le Monde" 22 avril 2009
Le côté artistique, n'est pas probant mais qu'importe, de quoi est-il question en réalité dans ce scandale, de l'utilisation des corps dont la provenance est douteuse, de leur mise en scène ou n'est-ce pas plutôt du scandale de la mort elle-même qu'il s'agit. La mort que notre société refuse obstinément. A nous l'éternelle jeunesse, cachez ces vieux que nous ne saurions voir et refusons notre condition de mortelle à tout prix. La mort, l'un des critères de la vie. Homo sapiens est devenu Sapiens sapiens lorsqu'il a enterré ses morts et pratiqué ce que l'on nomme l'art rupestre. Depuis, on enterre, on incinère à l'abri des regards, en douce pour ne pas déranger les vivants. Et si possible on meurt à l'hôpital parfois dans une grande solitude. (combien de décédés non réclamés pendant la canicule ?) Alors le respect des morts commence par le respect de la mort avant tout.
Les 17 cadavres chinois ne vont peut-être pas dormir tranquille pour autant le reste de leur éternité. Ont-ils voulu ou non que leur carcasse se promène partout dans le monde ? S'en soucient-ils à présent ?
J'aime à Istanbul, ces petits cimetières entre les immeubles. J'aime à Tahiti, les tombes dans le jardin des maisons sur lesquelles on va s'assoir pour converser ou se pose un instant. J'aime en Bulgarie, le pique-nique familial sur la pierre tombale des ancêtres. Vivre an toute quiétude avec ses morts chéris.
Et j'aime la série "Six feet under" qui met en scène l'éventail des réactions face à ses morts, les cérémonies possibles et mon épisode préféré "La mort du père Noël", ces collègues bikers font une fête d'enfer à grand renfort de bières et la femme du défunt développe un propos très digne et très généreux sur la mort de son compagnon et toute cérémonie funéraire où le mort est célébrée pour lui-même et comme de son vivant.
Et poussière...nous deviendrons tous à moins que nous ne rencontrions un artiste qui.....
Fasse que la grippe porcine nous épargne, je n'ai envie de tâter ni de la terre ni du feu trop vite, à bien y réfléchir, je veux bien, après mon tardif décès, être exposée au musée du Louvre à côté de la Joconde qui me sourirait tout le temps et je verrais chaque jour des milliers de personnes qui me prendraient en photo !