Afrique – France, 50 ans d’indépendance : du côté de la littérature5/5

Publié le par marine

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Non les Africains ne sont pas tous footballeurs et merci à la coupe du monde de football qui permet à ceux qui regardent au-delà du ballon rond de voir un autre monde que celui qui nous est habituellement offert aux informations.

Vue du côté de la littérature : Alain Mabanckou, l’un des plus médiatiques des auteurs africains contemporains, était, hier, le maître d’œuvre de six heures d’émission non stop sur la littérature africaine en direct du Marathon des mots à Toulouse, diffusées sur France culture. Un moment rare qui offrait un regard riche, coloré, multiple et loin des clichés familiers et usés. Un entretien avec André Brink qui a l’occasion de la coupe du monde de football se multiplie en interviews qui mettent en perspective l’histoire de l’Afrique du sud et sa réalité actuelle. Des archives avec le grand et succulent Ahmadou Kourouma, mort en 2003 dont l’œuvre unique en son genre a signé le renouveau de l’écriture africaine. Seule la première heure de cette émission est mise en ligne pour l’instant mais elle permet d’entendre cet auteur parler de l’Afrique contemporaine à travers la littérature et de se régaler de la lecture de « Petit Bodiel » d’Amadou Hampâté Bâ par Bakary Sangaré de la Comédie française.

www.franceculture.com/emission-le-marathon-des-mots-emission-speciale-dirigee-par-alain-mabanckou-2010-06-05.html

La littérature africaine connait un développement qui la met sur le devant des salons littéraire internationaux à l’occasion de l’anniversaire des indépendances et de la coupe du monde de football en Afrique du sud. Leurs auteurs prolixes, talentueux, sont parfois lassés de se voir traiter comme les représentants du continent africains comme si celui-ci présentait un visage uniforme et d’être obligé de justifier, de commenter les événements qui s’y déroulent. Ces écrivains aimeraient bien qu’on leur parle de leur travail plutôt que de la corruption des dirigeants, des massacres du Rwanda, etc… Leurs lecteurs résident plutôt au Nord qu’au Sud…

« Mais aujourd’hui, il existe en Angola des éditeurs qui publient des écrivains mozambicains. A Maputo, certains professionnels courageux tentent de donner accès à une littérature lusophone d’Afrique. Mais nous manquons de structures commerciales, de marchés. Les nouveautés s’épuisent très vite, faute de copies. De plus, les livres ne sont disponibles que dans les capitales. C’est un problème pour tous les écrivains du Mozambique. J’essaie d’y remédier en écrivant pour le théâtre et la radio. Nous élaborons des stratégies pour contourner les problèmes. » explique Mia Couto, écrivain mozambicain.

Le Prix Nobel J. M. Coetzee dit que les Africains, au contraire des autres, écrivent pour les étrangers. L’édition, surtout dans les pays francophones, reste sous-développée. Les livres publiés en Europe sont trop chers pour le marché africain. Les écrivains eux-mêmes sont dans des situations ambiguës, établis le plus souvent en Europe ou aux Etats-Unis où les universités les appellent à enseigner les littératures francophones. Exilés ou expatriés par choix, ils écrivent sur un monde qu’ils ont quitté depuis longtemps. Ces écrivains africains ne parlent plus de leur seul continent mais des mondes où ils se sont établis, qu’ils parcourent.

Quelques figures d’une littérature contemporaine en Afrique :

Alain Mabanckou est né en 1966 au Congo-Brazzaville. Il suit des études de droits qui le conduisent à travailler pour la Lyonnaise des eaux, un travail alimentaire précise-t-il. Après avoir écrit de la poésie, il se lance dans le roman. L’Université du Michigan lui offre un poste de professeur de littérature francophone en 2002, puis il passe à l’UCLA. En 2005, il publie Verre cassé au Seuil. Ce roman d’une grande inventivité verbale raconte la dérive d’un écrivaillon, client assidu du bar «Le Crédit a voyagé».Verre cassé accumule les prix et les sélections, mais c’est Mémoires de porc-épic qui vaudra le Renaudot à son auteur en 2006. Suivra encore Black Bazar, au top des ventes en 2009.  Son site, www.alainmabanckou.net, est un forum très vivant.

Felwine Sarr 
Natif du Sénégal, Felwine Sarr a fait des études d’économie à Orléans, où il est devenu professeur. Quand on lui a proposé un poste à l’Université de Saint-Louis, il a préféré rentrer, s’estimant plus utile dans son pays. Il n’a publié qu’un seul livre,
 Dahij, à L’Arpenteur, mais qui le situe d’emblée à part. Ce jihad inversé est une déclaration de guerre intérieure, un chemin vers soi-même ou pour sortir de soi. Felwine Sarr construit ce livre en petits tableaux. Egalement musicien, il a su lui donner un rythme, une pulsation. Ce sont des étapes sur le chemin du tao. Un dialogue avec ses auteurs préférés. Des rencontres. Des moments saisis, sur l’île de son enfance, à Orléans. Un livre tout à fait inclassable. 

Emmanuel Dongala, chimiste, né en 1941, étudie en France et aux Etats-Unis, avant de revenir enseigner à l’Université de Brazzaville. En 1997, la guerre civile le force à l’exil. La France lui refuse l’asile politique qu’il trouve aux Etats-Unis, grâce à l’appui de Philip Roth. Il a publié des poèmes, des nouvelles, dont le jubilatoire Jazz et vin de palme (1980) et des romans. Photo de groupe au bord du fleuve (Actes Sud), son dernier roman, raconte au jour le jour, la grève d’une équipe de casseuses de pierres dans une carrière. Leur révolte leur coûtera cher, une des femmes en mourra, mais elles gagneront la bataille. Les récits des femmes et les péripéties de ces journées se perdent un peu dans le flot du récit, mais cette belle utopie sociale et féministe, portée par l’humour et la révolte, reste passionnante.

Kossi Efoui, né en 1962, il a participé aux mouvements de contestation du pouvoir du général Eyadéma, au Togo, ce qui lui valut l’exil dans les années 1980. Il a d’abord beaucoup écrit pour le théâtre, des pièces presque abstraites, puis a publié au Seuil deux romans remarquables, La Polka (1998) et La Fabrique de cérémonies (2001). Une écriture impeccable, elliptique, sans aucun folklore, qui sait évoquer des sujets graves avec élégance. En 2008 sort Solo d’un revenant, qui accumule les prix (Tropiques, Kourouma, Cinq Continents). Un homme revient au pays qu’il a fui. Il veut savoir ce que sont devenus ses deux compagnons. Ce roman très maîtrisé, qui parle du retour dans un pays au sortir de la guerre, de la quête de la vérité, établit la singularité de la voix de Kossi Efoui.

De nombreuses voix féminines se donnent aussi à lire, un site leur est dédié : aflit.arts.uwa.edu.au/  qui montrent qu’elles n’ont rien à envier aux hommes dans ce domaine.

 Véronique Tadjo, née d’un père ivoirien et d’une Française, elle a étudié les séquelles de l’esclavage chez les Noirs américains. Elle a beaucoup écrit pour la jeunesse, publié romans et poèmes. Elle aussi a fait le voyage du Rwanda en 1998. Le récit qu’elle en a rapporté, L’Ombre d’Imana (2000), est très fort, sans manichéisme. A la fin de l’apartheid, elle choisit de résider en Afrique du Sud pour observer l’évolution de la société. Son dernier roman, Loin de mon père, vient de sortir chez Actes Sud. Une femme, métisse comme l’auteur, revient à Abidjan pour enterrer son père. Les responsabilités l’accablent, au fur et à mesure qu’elle découvre la vie cachée du vieux médecin, les exigences de la famille, le poids de la tradition. Elle ira vers l’apaisement et une forme de détachement. Limpide et attachant. 

Bientôt l’été, les vacances,… le temps de lire …. Ne vous en privez surtout pas.

 

 

 

Publié dans arc en ciel

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